Les concessions française et internationale et la défense de Shanghai
Un croiseur japonais a bombardé Nankin
Shanghai, 1er février 1932 (via Eastern)
Nous sommes toujours dans le noir. Si l’on se dirige encore à Shanghai, ce n’est qu’à la lueur des coups de feu. En attendant les grandes choses, on en voit déjà de petites qui, tout compte fait, ne sont pas trop mal.
Avant tout et pour bien comprendre, je vous demande de ne pas oublier que l’affaire se passe en Chine. Un chat en France s’appelle un chat ; ici, un chat s’appelle tantôt un lion, tantôt une souris, mais jamais un chat.
Que signifient par exemple ces deux armistices dont vous avez entendu parler ? La fin des hostilités ?
Loin de là. Ils signifient premièrement une ironique condescendance envers l’étrange peuple blanc. Les Anglais, les Américains, les Français désirent un armistice ; ils y tiennent tant que cela ? Pourquoi les contrarier ? Voilà, Messieurs, répondent Chinois et Japonais, voilà votre armistice, mais c’est bien uniquement pour vous faire plaisir.
La seconde raison est plus sérieuse. Le Japon a raté son coup ; il en fut étonné, mais non découragé. Seize cents hommes ne lui ont pas suffi, il en amènera quinze mille. On ne vient pas en dix minutes de Nagasaki à Shanghai. Il n’a encore que quinze mille hommes. Sa nouvelle heure n’a pas sonné ; il est content d’attendre trois jours, et même davantage. Quant à la division chinoise, ne lui faut-il pas plus de trois jours pour finir de se tâter ?
À part cela, tout va comme devant. La panique brave même la pluie.
Enfin, d’où sortent tous ces Chinois ? Le fameux spectacle de la fuite éperdue continue de battre son plein. Aujourd’hui, c’est le tour des automobiles qui ne nuisent en rien aux rickshaws ni aux brouettes, bien entendu. Dans une voiture, vous comptez deux hommes, cinq femmes, quatre enfants, deux coffres laqués et un canari dans sa cage. Les autos se suivent et, à l’intérieur de chacune, c’est la même assemblée. Tout cela, par la brèche que les Français ont ouverte dans leurs barbelés qui barrent le Bund, s’engouffre vers on ne sait quel gouffre.
— Eh bien, qu’en penses-tu ? demandai-je au marsouin qui, de Montpellier, sa ville natale, était venu défendre le Whangpoo ?
— Oh là là ! répondit-il, où tout ça pouvait-il bien loger ?
La Chine doit être un pays mal exploré. Jusqu’ici, on a cru que le Chinois, ainsi que tous les autres peuples, vivait à la surface du sol. Ne serait-il pas plus juste de prétendre que la Chine est faite d’étages souterrains superposés ? Il y a des villes cachées là-dessous. Et, devant la menace d’inondation, tout le monde remonte.
Dans Chapeï, les « sans-vêtements » n’ont pas cédé.
L’un d’eux-mêmes, à la faveur de la dernière nuit, a construit, à l’aide de touques à pétrole, un petit blockhaus à sa fenêtre. C’est au n° 151 de Range road. Le réduit est bien fait : un grand trou, sans doute, pour les bombes, et deux petits. En face, sur le trottoir, les Japonais ont amené une mitrailleuse ; ils la servent comme de petits diables. Depuis deux heures qu’ils tirent, ils ne sont pas venus à bout du plain clothes man, mais ils font du bruit. Je ne reviendrai pas là sans coton dans les oreilles.
Les snipers snipent de plus belle. Ce qui est grave, et j’envisage les conséquences qui pourraient en découler, c’est qu’ils tiraillent sur le territoire international.
Ils ne savent pas du tout ce qu’ils font. Un Chinois tire sur un autre Chinois. Jamais je n’ai souhaité de mal aux Anglais ni aux Américains, mais aujourd’hui plus que jamais, puisse Dieu les tenir hors de toute atteinte !
Dans ces rues, chars infernaux témoignant de l’instinct sauvage de l’homme, des camions hérissés de baïonnettes promènent, comme pour une monstrueuse mascarade, soldats et volontaires, soit anglais, soit japonais, quelques-uns en civil, les autres en uniforme, lesquels, revolver braqué, chassent avidement dans la grande jungle humaine de Shanghai.
FIN DE L’EXTRAIT
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